« Confrontez-les avec l’annihilation, et ils survivront. Plongez-les dans une situation périlleuse, et ils y vivront.
Quand les gens tombent dans le danger, ils peuvent combattre pour la victoire. » - Sun Tzu, sur l’art de la guerre.
Cent dix-neuf jours. Voici le décompte du temps passé par les membres de la communauté de Watertown en tant qu’esclaves aux troupes de Birmingham. Cent dix-neuf jours avec les fers aux poings et aux pieds, a marcher dans les terres mortes. Cent dix-neuf jours à être affamés, assoiffés, maltraités et bafoués. Cent dix-neuf jours à devoir marcher lentement derrière les caravanes noires des esclavagistes, à être totalement impuissants.
Bobby-Joe, l’envoyé de Maritza et membre de la prestigieuse Guilde, à insisté à faire le trajet jusqu’à Yonkers avec les caravanes. Il était assis à l’arrière de la première caravane, et a observé les « nouvelles recrues » souffrir durant le trajet de Watertown jusqu’à la base des raiders. Lui, ainsi que les dizaines de Hyènes Sauvages qui ont décidé de voyager avec lui, s’amusaient bien au dépends des habitants déchus. Après le quatre-vingt-sixième jour, la longue marche au travers des terrains arides se termina à la ville de Yonkers, quartiers généraux des esclavagistes du territoire entier. C’est à cette date, en pleine nuit, que Bobby-Joe décida de quitter, en souhaitant à tous un agréable passage dans les enfers de la soumission et de l’esclavagisme. Il leur souligna qu’il « allait prendre un grand soin de leur Watertown chérie », et quitta avec le vacarme bruyant des véhicules des Hyènes.
Le lendemain, M. Birmingham en personne se présenta pour rencontrer les nouveaux arrivants. Vêtu d’une grande robe de chambre et de son monocle, il marcha dans ses pantoufles bien lentement, accompagné de deux hommes de main qui le cacha du soleil plombant avec des parapluies. Sa peau était très pâle, et il faisait particulièrement attention de ne pas se présenter au soleil directement, de peur qu’il « brunisse et devienne paysan ». Fat-Eye était gros, et le monocle de son œil le faisait paraître déformé. Il sentait le parfum de lilas. Chaque membre de Watertown était scruté avec intérêt, comme l’on regarde des pièces de viande.
Mais il se gardait un individu en particulier pour la fin. Avec un claquement de mains, Un trio de raiders armés jusqu’aux dents tira une lourde chaîne, à laquelle était attachée le maire par les poignets. Un traitement spécial avait été réservé à celui-ci ; il ne fut nourri qu’à tous les deux jours, tandis que les autres étaient nourris une fois chaque jour. Il marchait devant les autres, et était donc celui qui subissait les arrêts et départs fréquents des charrettes. De plus, il regardait à longueur de journée Bobby-Joe, qui se délectait de le provoquer. Comme tout les autres, il avait été changé de ses vêtements usuels par les guenilles et les retailles « offertes » par les raiders, alors que leurs vêtements (et ainsi que tout le matériel des gens de Watertown) avait été transporté par une autre caravane. Plusieurs habitants de Watertown voyaient, pour la première fois, le visage du maire ; il s’agissait d’un homme, tout simplement. Il avait les yeux bruns, et les cheveux bruns. Les rides autour de ses yeux, ainsi que les cheveux fuyants vers l’arrière du crâne, indiquaient un âge plutôt avancé. Ses cheveux, ainsi que sa barbe, avaient été rasés la veille sans trop de précision ou de délicatesse par les raiders. Jamais durant le voyage ne s’était-il plaint.
Avec un tir violent sur la chaîne, les raiders firent trébucher le maire, et il roula au sol. L’impact de ses pieds sur la terre sèche fit lever un fin nuage de poussière, et l’un des hommes de main de Fat-Eye s’empressa d’offrir un mouchoir brodé à celui-ci, et de dépoussiérer sa robe de chambre. Le maire se releva, et fit face à Birmingham, alors que trois hommes armés le menaçaient. Fat-Eye s’avança, hors de la protection de ses ombrelles, et regarda cet homme vêtu d’une chienne de travail bleue. Ils n’étaient qu’à un mètre de distance, l’un de l’autre. La tension sur la chaîne était forte, les bras du maire était tirés vers la droite, de sorte qu’il forçait constamment pour ne pas pivoter sur lui-même.
« Ainsi se présente à moi le maire de Watertown. », dit M. Birmingham en s’éventant avec le mouchoir. « Franchement, vous auriez pu vous vêtir de manière un peu plus acceptable, monsieur. » Le rire exagéré des raiders alentours n’avait rien de franc. « Enfin, au moins vous êtes rasés, c’est un début. » Il toussota, et l’autre homme de main lui offrit une tasse d’eau. Il en prit une petite gorgée, et regarda le maire ensuite. « Vous semblez avoir soif. » Et il lui jeta le contenu de la tasse au visage. « Voilà qui est mieux! » Les rires forcés repartaient de plus belle. Le maire ne broncha pas, et ne quitta pas du regard l’obèse gras et pâle devant lui. « Bon, assez de plaisanteries. Vous, ainsi que votre bande de campagnards, êtes maintenant ma propriété. Vous vivez ou mourrez selon mon bon plaisir. Ici, dans l’enceinte de ces murs, je suis roi et maître. Ma parole est loi. Vous serez gardés ici, et vous briserez des pierres. Vous briserez ces pierres car je souhaite former des murs de pierre autour de mon havre. Tant et aussi longtemps que votre acheteur ne se sera pas présenté, vous briserez des pierres. Vous débuterez lorsque le soleil se lèvera, et vous cesserez lorsque le soleil se couchera. Vous serez aussi au début et à la fin de la journée. Vous serez abreuvés selon le bon désir de vos geôliers. À tout moment, je peux choisir de mettre fin à vos jours. »
Il eut un silence, le vent chaud et sec siffla. Il n’y eut aucune réaction de la part du maire.
« Vous avez quelque chose que vous voulez dire? Il me semble vous connaître une qualité plus volubile, surtout par écrit. Qu’aviez-vous écrit à mon sujet? Ah oui, cela me revient ; que j’étais un gros bâtard déformé, et que vous alliez me tuer. Eh bien, allez-y. Tuez-moi, oh Vagabond terrifiant! Justicier impitoyable des Terres Mortes! Car tel était votre souhait, n’est-ce-pas? » Encore, il n’eut de réponse que du silence. Pris d’une rage à ne pas pouvoir provoquer son ennemi, Fat-Eye s’avança et gifla le maire. Pas de réponse. « Alors le silence est l’acceptation, n’est-ce-pas? Vous n’êtes qu’un pleutre, une poule mouillée. » Il le gifla encore, et se mit à le frapper alors qu’il l’injuria. Il était insulté dans son amour-propre. « Vous n’avez pas le courage de mettre vos paroles à l’acte! » Fat-Eye s’épuisa à le gifler, et cessa pour reprendre un peu de son sang-froid. Le maire leva la tête, les joues quelque peu rougies par les coups. Un peu comme un adulte frappé par un enfant dodu et mou.
« Tu es un gros bâtard déformé. Je ne te tue pas ici et maintenant parce que les gens de ma ville sont en danger. Mais lorsqu’ils seront libres et de retour à Watertown, je reviendrais ici. Je vais tuer tout les raiders qui se trouvent ici. Et ensuite, je te tuerai, toi. »
Les yeux de Fat-Eye Birmingham s’écarquillèrent tant qu’il en perdit son monocle. Jamais aucun individu n’a osé parler sur ce ton envers Birmingham. Il saisit une arme de poing d’un des raiders, et le visa vers l’homme debout devant lui, mais se ressaisit. « Non… Non, il ne faut pas vous tuer. Vous deviendriez un martyr pour ces pèquenots. Non, vous resterez, et vous observerez, impuissant, à leur souffrance. »
« Crucifiez-le! » Hurla-t-il, et l’ordre fut exécuté. Les habitants de Watertown observèrent, impuissants, devant le spectacle grossier. Une grande croix de bois fut placée au centre du camp. Le maire y fut traîné, et crucifié avec de grands clous d’acier, et soutenu par du barbelé autour des bras et des jambes. Il fut hissé et la croix de bois fut plantée dans le sol. Fat-Eye était maintenant du haut de sa tour, et parlait au travers de son porte-voix. « Observez votre sauveur! Voyez votre héros, offert au soleil et aux vautours! »
Durant quatre jours, le maire resta sur la croix. Au début du cinquième, M. Birmingham décida de le libérer de bon cœur. Depuis, il travaille avec les autres membres de sa communauté. Cassant des pierres du début jusqu’à la fin de la journée. Les habitants de Watertown ont pu voir le printemps devenir été, et devenir automne. Il faisait un peu plus frais maintenant, le vent était plus frisquet. Mais dans leur cœur, la colère et la haine les gardaient bien au chaud. Et ensuite vint les rumeurs… La seconde caravane, celle qui contenait les armes des prisonniers, avaient été pris en embuscade par un groupe de miliciens de Watertown. La seconde rumeur voulait que l’acheteur mystérieux des esclaves de Watertown s’approche de Yonkers, et sera présent d’ici quelques jours…